Deux bonnes nouvelles. La première, pas seulement pour les 4 millions d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon : le PCF confirme son implication dans le Front de gauche. Mieux : ses dirigeants n’évoquent plus une stratégie de fronts, au pluriel, expression qui servait à signifier à ses alliés en général, et au Parti de gauche en particulier, qu’il ne mettait pas tous ses œufs dans le même panier. Au sein du PCF, la diabolisation de la stratégie du Front de gauche – trahison du Parti, de la lutte des classes… - est en perte de vitesse. L’ancien héros des orthodoxes, André Gérin, en est à saluer l’émancipation du PCF par rapport au PS et à souligner le besoin de « construire un rassemblement au-delà du Front de gauche », ce qui veut dire à partir de lui.
Seconde bonne nouvelle, conséquence de la première : la stratégie du Front de gauche évolue, dans le sens d’un dépassement de sa nature de seul cartel électoral. Certes, il aura fallu des mois pour épuiser, avec l’aide de François Hollande et Jean-Marc Eyrault, la formule ‘‘faire réussir la gauche’’ ; certes, le PS et ses satellites idéologiques auront donc eu le temps de travailler l’opinion pour qu’elle se résigne aux potions social-libérales ; certes, encore, la droite, après l’épisode de la division interne à l’UMP, aura eu le temps de se ressouder pour faire de la surenchère dans tous les domaines (sur fond de porosité croissante avec les idées d’extrême droite et, à l’Assemblée nationale, avec les deux députés FN). Cependant, avec sa participation à la mobilisation en faveur du mariage pour tous et avec le lancement de sa campagne pour une alternative à l’austérité, concomitante avec un regain de mobilisations, le Front de gauche engage une nouvelle étape.
Dans ce contexte, 5 enjeux au moins devraient être au cœur du congrès d’Aubervilliers.
Quel rapport au gouvernement et au PS ?
Sur ce plan, la dernière période a été nette : le PCF se démarque de plus en plus de la politique gouvernementale. Ses députés à l’Assemblée ont à plusieurs reprises sanctionné des projets de loi sensibles. Et les polémiques récentes (vidéo des vœux diffusés par le Parti, échanges par médias interposés sur les prochaines élections municipales) sont symptomatiques. On peut parier que les congressistes soutiendront largement cette orientation. Même les sensibilités qui défendent des stratégies d’alliance classiques avec le PS seront probablement inaudibles, vu ce qu’il en est de la politique gouvernementale. Ainsi, la présidente du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC) au Sénat, Eliane Assassi, évoque déjà les « futures lois qui n’annoncent rien de bon » : traduction législative scrupuleuse de l’accord CFDT – MEDEF, loi sur la « refondation de l’école » qui « échoue dans le traitement de ses propres ambitions », acte III de la décentralisation « dans la continuité de la réforme de Sarkozy ». Reste à savoir quelles doivent être les conséquences à moyen terme d’une telle orientation critique, et comment, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une position passagère (l’orientation de la politique gouvernementale ne l’étant pas), cela modifie la stratégie et les activités du Front de gauche. Il serait curieux que le constat de l’existence de deux orientations à gauche de plus en plus inconciliables ne change rien.
Une alternative politique ?
Autre sujet, au cœur des débats préparatoires au congrès : comment ne pas en rester à protester ou à critiquer, et comment créer les conditions d’une alternative politique ? Dès lors que l’objectif politique n’est pas d’aiguillonner le PS, tout un champ d’intervention peut s’ouvrir. Sur ce sujet, le Front de gauche met en débat 25 propositions, dans la continuité de celles portées pendant la campagne des présidentielles : « 1. Suppression des niches fiscales et sociales sans utilité sociale, et économique et écologique (…) 2 - Réforme de l’impôt sur le revenu pour le rendre progressif avec 14 tranches ; taxation de tous les revenus du capital au même niveau que le travail (…) 3 - Suppression des exonérations de cotisations sociales », etc. Et il a la volonté d’identifier aux yeux des citoyens des mesures de rupture capables d’enrayer la fuite en avant néolibérale. Mais comment construire la crédibilité non pas (seulement) des propositions elles-mêmes mais de la possibilité de leur donner de la force politique ? Là se pose une nouvelle fois à la gauche de transformation la question d’initier un nouveau type de rapports entre mouvement social, forces sociales et forces politiques, au-delà des formes habituelles que sont le soutien aux syndicats et la formulation d’une "offre politique" censée prolonger les mouvements.
Un nouvel horizon ?
Cet axe reste sous-investi. Est-ce dû à la volonté d’être "crédible" ou d’être "concret", ce qui serait synonyme d’être "efficace" ? Quoi qu’il en soit, on ne voit pas de montée en puissance de la capacité à se défaire des carcans idéologiques pour ouvrir de nouvelles possibilités. Or, au point où nous en sommes de la critique du capitalisme dans la société, l’enjeu est crucial. Sinon, le risque est toujours de se rabattre sur un faisceau de revendications syndicales, et en définitive de renoncer à transformer la société. La question a récemment été portée, au sein du Conseil national du PCF, par le sociologue Alain Hayot : « L’humanité est effectivement en panne de sens et notre combat, s’il a besoin de propositions portées contre l’austérité, exige aussi une mise en perspective sociétale : face à l’orientation social-libérale clairement assumée par le PS, quelle société voulons-nous construire, quelle humanité voulons-nous être ? L’enjeu culturel prend une force nouvelle : la culture ne peut être réduite à n’être qu’un vecteur de développement des territoires, elle est d’abord un outil d’émancipation humaine et de progrès social. Comment changer la société et refonder la démocratie si nous ne menons pas la bataille des idées et des imaginaires (…) ? ». Si l’existence du Front de gauche libère des potentialités de rassemblement, elle est loin de suffire à ouvrir une nouvelle ère d’émancipation, son intervention politique quotidienne restant globalement focalisée sur des objectifs immédiats.
Le communisme
La dernière rencontre nationale organisée dans le cadre de la préparation du 36ème congrès à Bordeaux le 26 janvier s’intitulait "Communisme pour changer le monde". Comme dans l’entretien qu’il nous a accordé, Pierre Laurent y a notamment évoqué « la responsabilité d’ouvrir la voie à un communisme de nouvelle génération » proposant, à côté de la campagne du Front de gauche contre l’austérité et de la tenue d’Assises pour le changement, de construire « le nouveau projet communiste qui dessinera les chemins nouveaux de l’émancipation humaine ». Si les pires années de crise existentielle de la légitimité même du communisme semblent appartenir au passé, toute la difficulté maintenant, que le PCF n’est pas seul à affronter, est de donner corps à cette intention, de la faire vivre au travers d’une stratégie et d’initiatives et pratiques politiques.
L’avenir du PCF
Au sein du Parti, l’option de son dépassement rapide et de la création d’une nouvelle force politique est affaiblie. Même si beaucoup de militants et de responsables sont sceptiques sur sa capacité à produire du neuf, la stratégie du Front de gauche conduit de fait à temporiser sur la question de la transformation ou du dépassement du PCF. Le débat est alors réduit à la crainte des orthodoxes d’une entourloupe par laquelle le PCF délèguerait de plus en plus de sa souveraineté au Front de gauche, à des débats sans reliefs en vue d’une modification des statuts… ou sur « l’exigence » exprimée dans certains congrès départementaux de « faire respecter les décisions majoritaires dans le cadre de la diversité », ce qui est tout de même assez loin des novations à apporter pour refonder l’efficacité de l’action politique. On peut seulement se demander si l’expérience du Front de gauche permettra à moyen ou à long terme des mûrissements sur le sujet. Même si le lancement initial du congrès nous avait semblé esquisser des avancées qui aujourd’hui bien incertaines, ne faisons pas les conclusions du congrès avant sa tenue.
Gilles Alfonsi
Seconde bonne nouvelle, conséquence de la première : la stratégie du Front de gauche évolue, dans le sens d’un dépassement de sa nature de seul cartel électoral. Certes, il aura fallu des mois pour épuiser, avec l’aide de François Hollande et Jean-Marc Eyrault, la formule ‘‘faire réussir la gauche’’ ; certes, le PS et ses satellites idéologiques auront donc eu le temps de travailler l’opinion pour qu’elle se résigne aux potions social-libérales ; certes, encore, la droite, après l’épisode de la division interne à l’UMP, aura eu le temps de se ressouder pour faire de la surenchère dans tous les domaines (sur fond de porosité croissante avec les idées d’extrême droite et, à l’Assemblée nationale, avec les deux députés FN). Cependant, avec sa participation à la mobilisation en faveur du mariage pour tous et avec le lancement de sa campagne pour une alternative à l’austérité, concomitante avec un regain de mobilisations, le Front de gauche engage une nouvelle étape.
Dans ce contexte, 5 enjeux au moins devraient être au cœur du congrès d’Aubervilliers.
Quel rapport au gouvernement et au PS ?
Sur ce plan, la dernière période a été nette : le PCF se démarque de plus en plus de la politique gouvernementale. Ses députés à l’Assemblée ont à plusieurs reprises sanctionné des projets de loi sensibles. Et les polémiques récentes (vidéo des vœux diffusés par le Parti, échanges par médias interposés sur les prochaines élections municipales) sont symptomatiques. On peut parier que les congressistes soutiendront largement cette orientation. Même les sensibilités qui défendent des stratégies d’alliance classiques avec le PS seront probablement inaudibles, vu ce qu’il en est de la politique gouvernementale. Ainsi, la présidente du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC) au Sénat, Eliane Assassi, évoque déjà les « futures lois qui n’annoncent rien de bon » : traduction législative scrupuleuse de l’accord CFDT – MEDEF, loi sur la « refondation de l’école » qui « échoue dans le traitement de ses propres ambitions », acte III de la décentralisation « dans la continuité de la réforme de Sarkozy ». Reste à savoir quelles doivent être les conséquences à moyen terme d’une telle orientation critique, et comment, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une position passagère (l’orientation de la politique gouvernementale ne l’étant pas), cela modifie la stratégie et les activités du Front de gauche. Il serait curieux que le constat de l’existence de deux orientations à gauche de plus en plus inconciliables ne change rien.
Une alternative politique ?
Autre sujet, au cœur des débats préparatoires au congrès : comment ne pas en rester à protester ou à critiquer, et comment créer les conditions d’une alternative politique ? Dès lors que l’objectif politique n’est pas d’aiguillonner le PS, tout un champ d’intervention peut s’ouvrir. Sur ce sujet, le Front de gauche met en débat 25 propositions, dans la continuité de celles portées pendant la campagne des présidentielles : « 1. Suppression des niches fiscales et sociales sans utilité sociale, et économique et écologique (…) 2 - Réforme de l’impôt sur le revenu pour le rendre progressif avec 14 tranches ; taxation de tous les revenus du capital au même niveau que le travail (…) 3 - Suppression des exonérations de cotisations sociales », etc. Et il a la volonté d’identifier aux yeux des citoyens des mesures de rupture capables d’enrayer la fuite en avant néolibérale. Mais comment construire la crédibilité non pas (seulement) des propositions elles-mêmes mais de la possibilité de leur donner de la force politique ? Là se pose une nouvelle fois à la gauche de transformation la question d’initier un nouveau type de rapports entre mouvement social, forces sociales et forces politiques, au-delà des formes habituelles que sont le soutien aux syndicats et la formulation d’une "offre politique" censée prolonger les mouvements.
Un nouvel horizon ?
Cet axe reste sous-investi. Est-ce dû à la volonté d’être "crédible" ou d’être "concret", ce qui serait synonyme d’être "efficace" ? Quoi qu’il en soit, on ne voit pas de montée en puissance de la capacité à se défaire des carcans idéologiques pour ouvrir de nouvelles possibilités. Or, au point où nous en sommes de la critique du capitalisme dans la société, l’enjeu est crucial. Sinon, le risque est toujours de se rabattre sur un faisceau de revendications syndicales, et en définitive de renoncer à transformer la société. La question a récemment été portée, au sein du Conseil national du PCF, par le sociologue Alain Hayot : « L’humanité est effectivement en panne de sens et notre combat, s’il a besoin de propositions portées contre l’austérité, exige aussi une mise en perspective sociétale : face à l’orientation social-libérale clairement assumée par le PS, quelle société voulons-nous construire, quelle humanité voulons-nous être ? L’enjeu culturel prend une force nouvelle : la culture ne peut être réduite à n’être qu’un vecteur de développement des territoires, elle est d’abord un outil d’émancipation humaine et de progrès social. Comment changer la société et refonder la démocratie si nous ne menons pas la bataille des idées et des imaginaires (…) ? ». Si l’existence du Front de gauche libère des potentialités de rassemblement, elle est loin de suffire à ouvrir une nouvelle ère d’émancipation, son intervention politique quotidienne restant globalement focalisée sur des objectifs immédiats.
Le communisme
La dernière rencontre nationale organisée dans le cadre de la préparation du 36ème congrès à Bordeaux le 26 janvier s’intitulait "Communisme pour changer le monde". Comme dans l’entretien qu’il nous a accordé, Pierre Laurent y a notamment évoqué « la responsabilité d’ouvrir la voie à un communisme de nouvelle génération » proposant, à côté de la campagne du Front de gauche contre l’austérité et de la tenue d’Assises pour le changement, de construire « le nouveau projet communiste qui dessinera les chemins nouveaux de l’émancipation humaine ». Si les pires années de crise existentielle de la légitimité même du communisme semblent appartenir au passé, toute la difficulté maintenant, que le PCF n’est pas seul à affronter, est de donner corps à cette intention, de la faire vivre au travers d’une stratégie et d’initiatives et pratiques politiques.
L’avenir du PCF
Au sein du Parti, l’option de son dépassement rapide et de la création d’une nouvelle force politique est affaiblie. Même si beaucoup de militants et de responsables sont sceptiques sur sa capacité à produire du neuf, la stratégie du Front de gauche conduit de fait à temporiser sur la question de la transformation ou du dépassement du PCF. Le débat est alors réduit à la crainte des orthodoxes d’une entourloupe par laquelle le PCF délèguerait de plus en plus de sa souveraineté au Front de gauche, à des débats sans reliefs en vue d’une modification des statuts… ou sur « l’exigence » exprimée dans certains congrès départementaux de « faire respecter les décisions majoritaires dans le cadre de la diversité », ce qui est tout de même assez loin des novations à apporter pour refonder l’efficacité de l’action politique. On peut seulement se demander si l’expérience du Front de gauche permettra à moyen ou à long terme des mûrissements sur le sujet. Même si le lancement initial du congrès nous avait semblé esquisser des avancées qui aujourd’hui bien incertaines, ne faisons pas les conclusions du congrès avant sa tenue.
Gilles Alfonsi
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