lundi 7 mai 2012

Un texte de Jean-Claude Delaunay "La stratégie du gauchisme (au PCF) ne mènera à rien laissant la place au pire"

Après ce premier tour de l’élection présidentielle, le partage d’analyses individuelles est une exigence, au moins pour les communistes. Récemment, Ivan Lavallée a diffusé ses propres remarques sur la période[2]. Le blog alimenté par « Descartes » vient de publier un billet sur ces élections[3]. Il en est de même de la part d’André Gerin et de son équipe[4]. Mais il existe d’autres réflexions, celles par exemple de Michel Mélinand, sur « Unité communiste » ou de divers signataires sur « Bellaciao », etc. Leur caractéristique la plus fréquente, à mon avis, est de prendre une distance critique avec cette campagne. Tel est aussi la signification de mon intervention. Le bon sens commanderait, selon moi, de changer la stratégie mise en œuvre. Car malgré son apparente réussite, elle conduit à des impasses. Je présenterai 5 points.
1) Quelques mots sur les résultats obtenus par Mélenchon.

Cette élection a donné la preuve, selon moi, de ce que peut produire le gauchisme politique. Le Parti communiste français est devenu, au moins à son plus haut niveau de direction, un parti gauchiste. J’ai récemment publié à la fondation Gabriel Péri les entretiens que j’ai eus, l’été dernier, avec des amis chinois[5]. Je leur faisais part de mes conclusions en ce sens comme on pourra le vérifier. Cette orientation gauchiste était selon moi déjà apparente, bien avant aujourd’hui, par exemple dans le document dit de « La base commune, des 05/06 septembre 2008, Vouloir un monde nouveau, le construire au quotidien ».

Toutefois, entre une hypothèse et une preuve, il existe une sacrée différence. Aujourd’hui, nous avons la preuve du phénomène et de ses résultats politiques immédiats. Nous pouvons réfléchir à ses résultats de plus long terme.

Après avoir vainement déroulé le tapis rouge devant José Bové, après avoir vainement fait des risettes à Besancenot, les « chefs » communistes ont enfin trouvé le bon intermédiaire de leur stratégie. Cette dernière est toutefois différente de celle que pouvait impulser le gauchisme classique. Elle en retient la spontanéité, qu’exprimerait le « mouvement social »: Elle en retient l’impatience et le volontarisme. Tout est possible tout de suite, il suffit de le vouloir. Elle nourrit également, cela va de soi, des pratiques sectaires, accompagnées de l’opportunisme le plus plat quand il s’agit de grappiller quelques sous ou quelques voix grâce aux élections. Elle repose enfin sur la conviction que la situation est mûre pour le combat final avec le capitalisme.

Mais à ce gauchisme classique, elle ajoute une bonne couche de gauchisme moderne, savoir le détachement complet du souci de la réflexion théorique approfondie. Le gauchisme classique est un gauchisme cultivé qui se réfère aux textes et à la classe ouvrière au nom de la pureté révolutionnaire. Son tort est d’être ignorant de l’histoire, de la pratique sociale et des changements qui s’y produisent. C’est d’ailleurs sur cette triple base, celle de la pratique de la société, de la connaissance historique concrète du terrain social, des évolutions en cours, que les communistes français se sont traditionnellement opposés aux groupes gauchistes.

Le néo-gauchisme, renouvelle cet aspect de la pensée politique. Il ne fait plus dans la dentelle de la citation révolutionnaire. Marx et ses copains ont été passés aux oubliettes. La classe ouvrière est abondamment sollicitée mais de manière verbale et par raccroc, non dans son principe ou sa réalité. C’est ainsi que la nature (l’essence) du travail contemporain est totalement incomprise voire ignorée. Quant à la pratique sociale et à la connaissance de terrain, elle ne pourrait plus servir à grand-chose puisque la société a changé de fond en comble. Il faudrait donc tout inventer à nouveau. Au plan de la mythologie politique, l’inspirateur théorique du néo-gauchisme, c’est « le peuple », 1793, Jean-Jacques Rousseau, les grands meetings, les « manifs ». La référence aux sondages remplace la référence aux principes. De ce bruit diffus et confus, les « chefs » néo-gauchistes sont les interprètes implicites.

Telle est, me semble-t-il, la base idéologico-politique du score mélenchonien. En France, le vote gauchiste-communiste des dernières années a représenté environ 10% des électeurs. C’est ce qu’a récolté Mélenchon. Mais il l’a fait sur un seul nom. Telle est, selon moi, la signification de ce scrutin. Les « chefs » communistes diront (peut-être) : « Nous n’avons sans doute pas atteint le score que nous souhaitions. Nous avons été snobés par les sondages. Mais nous avons réussi l’unification de la contestation radicale ». La stratégie du Front de gauche est, en effet, celle du rassemblement des potentialités gauchistes avec, je veux bien le croire, la collecte supplémentaire de voix venant d’électeurs antérieurement désespérés. La sous-population des électeurs de Mélenchon serait donc composée de gens motivés, dont je ne mets pas en doute les convictions révolutionnaires. Cela dit, dans un pays moderne et développé, on ne peut espérer en révolutionner la société avec seulement 10% des voix.

Les « chefs » communistes diront (peut-être) : « Ce n’est qu’un début. Les masses ont voulu assurer contre Le Pen. Elles ont eu peur de la radicalité du changement que nous proposons. Il nous faut leur expliquer ce que nous voulons ». Comme toujours, quand un résultat politique n’est pas atteint, c’est parce les « explications » n’ont pas été suffisantes. D’un côté, le peuple est la source de toute légitimité. Mais quand la source n’a pas produit les effets quantitatifs désirés, c’est qu’elle n’a pas bien compris.

Ce que je crois, pour ma part, est qu’il existe depuis un certain temps déjà, dans ce pays, une fraction de la population de comportement radical et révolutionnaire. Cette fraction fait environ 10% des électeurs. Jusqu’à ces derniers temps, cette fraction ne s’exprimait plus, ou de moins en moins, et elle le faisait de manière éparpillée. Aujourd’hui, elle s’est rassemblée autour d’un nom parce que la politique suivie par l’extrême-droite française, sous la direction de Nicolas Sarkozy, a atteint les limites du supportable. La part de succès de la candidature Mélenchon n’exprimerait donc pas tant le succès de la stratégie du Front de gauche que l’échec patent de celle du parti de Sarkozy.

Cela étant dit, avec une base de population aussi restreinte, animée par une conviction révolutionnaire visant un débouché immédiat alors que les conditions tant politiques que théoriques et idéologiques de l’immédiateté d’un tel débouché ne sont pas réunies, le risque est très grand que cette population soit déçue et retombe pour partie dans le désespoir. Le risque est grand que la stratégie gauchiste du Front de gauche, loin de rassembler encore plus d’électeurs, ne reçoive qu’un accueil réservé.

Il faut, au contraire, travailler sur le long terme, avec des arguments solides et une stratégie unitaire à toute épreuve. Je crains malheureusement que ce ne soit pas le cas. La question se pose donc, aussi bien pour moi que pour tout le monde : « Et après ? ».

2) Après l’élection présidentielle, quels problèmes seront soulevés?

Il y en aura certainement des tonnes. Mais hypothèse étant faite que le candidat socialiste sera élu président (ce n’est pas encore fait au moment où je rédige cette note), je crois que le concert manquera d’harmonie. Les acteurs les plus visibles du Front de Gauche chercheront à tirer des plans sur l’avenir tout en y inscrivant leur propre avenir politique. Je laisse de côté cette partie personnalisée du concert, tout en supposant que, au-delà des contradictions qu’exprimera cette musique, il y aura des morceaux, ou des thèmes, « unificateurs », comme par exemple la lutte politique contre le Front national. Il y aura également la question suivante « Comment faire évoluer « ce salopard » que nous avons contribué à élire ? » Je ne reprends pas le terme de « salopard » à mon compte. J’essaie simplement d’anticiper « de l’intérieur » une situation et son langage intime.

Cela dit, en m’en tenant aux problèmes d’organisation, étroitement corrélés à ceux du contenu, je crois que le thème unificateur principal, parmi tous ces acteurs, sera le suivant « Comment rendre liquide le Parti communiste français au point d’en réaliser l’évaporation transcendantale? ». En bref, comment le liquider ? Sans doute recherche sera-t-elle faite de laisser aux communistes de base assez d’existence symbolique pour qu’ils continuent à coller les affiches. Mais de Clémentine Autain à Pierre Laurent en passant par Marie-Georges Buffet et Jean-Luc Mélenchon, la question majeure sera « Comment dépasser la forme actuelle du Parti Communiste et la remplacer, tant au plan national qu’européen, par une entité politique qui s’impose à lui? ». C’est moi qui utilise ces termes. Pour étayer ma préoccupation relative à l’avenir du Front de gauche tel que le conçoivent actuellement les chefs communistes, je renvoie au dernier rapport de Pierre Laurent (Conseil national du 25 avril 2012). Mais tout cela se précisera sous peu, vraisemblablement.

Pour me résumer, je dirai que le souci majeur de ces « élites » pourrait être le suivant : « Pour amplifier quantitativement l’effet révolutionnaire du Front de gauche (c’est ainsi, du moins, qu’ils jugent leur apport, JCD), il faut mettre en place une organisation adéquate ». La dissolution du Parti communiste français dans l’alcool du mouvement social sera, selon moi, poursuivie avec obstination, même si elle est poursuivie « sans le dire ». L’idée principale pourrait être, sur la lancée de ces élections, de créer, comme cela a été dit de nombreuses fois, un Die Linke à la française. Cette nouvelle organisation serait certes envisagée comme minoritaire dans l’immédiat, mais comme devant progresser en audience. Si tel était bien le projet des « chefs » communistes actuels, ils seraient en train de concevoir l’insecte le plus important de l’histoire révolutionnaire française, « la mouche du coche de la gauche ». Ce serait, en plus, une curiosité biologique, car l’insecte en question devrait pouvoir se transformer en gros mammifère, en éléphant volant par exemple.

Personnellement, je ne suis pas « un adorateur » des organisations révolutionnaires. De la pensée de Marx et d’autres, j’ai reçu en héritage un état d’esprit anarchiste, à la française. Je trouve que « ça aide » surtout quand on a des dirigeants qui ne sont pas à la hauteur de la situation. Cela dit, l’analyse de la société développée (a fortiori de la société sous-développée) me conduit à penser qu’une organisation ayant une structure semblable en plusieurs points à celle déjà produite par la société industrielle est toujours nécessaire pour révolutionner la société, même si cette structure n’est pas immuable (car la société industrielle change) et même si elle varie d’un pays à l’autre, pour des raisons historiques. Dans ma note sur « La Chine, la France », j’ai développé deux grandes raisons pour lesquelles un parti communiste de type classique était nécessaire. Ces raisons valent ce qu’elles valent et chacune, chacun, peut en apprécier la validité au regard de ses propres exigences.

La première est que la complexité de la situation implique un recours explicite au marxisme. A ma connaissance, cela ne peut être accompli valablement que grâce à une organisation révolutionnaire faite pour ça.
La deuxième est que la société change. De nouvelles classes sociales se font jour aux côtés de la classe ouvrière. Or de la même façon que le Parti communiste première manière a contribué à l’unification politique de la classe ouvrière et à l’unification de son combat avec la petite paysannerie, le Parti communiste deuxième manière devrait permettre la transmission au monde moderne de l’expérience ouvrière d’une part et d’autre part, d’amalgamer et d’unifier dans le combat révolutionnaire l’ensemble des nouvelles classes sociales que produit le monde moderne ainsi que le combat de la classe ouvrière avec ces nouvelles classes sociales.

Le Front de gauche ne pourra pas produire ce résultat. Ma conclusion relativement à ce point s’énonce à l’aide deux idées.

A) La première est que les communistes ayant refusé la dissolution du Parti communiste dans le mouvement social doivent être prêts à faire face à une offensive prévisible de la part de dirigeants communistes qui sont hostiles à cette conservation. Ces dirigeants sont toujours en place. Or je les crois peu scrupuleux en même temps que foncièrement manœuvriers.

B) La deuxième est que le feu de la discussion (concernant les raisons pour lesquelles une organisation révolutionnaire de ce type continue d’être indispensable de nos jours) pourrait être à nouveau stimulé et intensifié, notamment sur les sites internet appropriés. Elle devrait être conduite d’abord et avant tout dans le Parti communiste lui-même. Il ne s’agit pas de conserver la forme « parti révolutionnaire » pour le plaisir de la conserver, la difficulté, au demeurant, étant non seulement de la conserver mais de la faire évoluer.

3) L’extrême droite capitaliste et l’extrême droite populaire

Il est tout à fait intéressant de noter que, au cours de la campagne électorale, un certain nombre de dirigeants communistes ont déclaré, après quelques manifestations, meetings et émissions télévisées où le ton avait été haussé pour contrer les idées du Front national, que « oui, ça y était, on avait bouclé son bec à la candidate d’extrême-droite », en sorte que désormais, « la couche la plus populaire du peuple », si je puis ainsi m’exprimer, ne serait plus tentée de voter extrême-droite, ou le serait beaucoup moins. Sur le phénomène « Front national », je vais exprimer trois idées.

a) La première a trait au jugement que je porte sur la capacité des dirigeants communistes actuels (et de journalistes hautement responsables au sein du Journal L’Humanité) à analyser le phénomène extrême-droite et à le combattre en conséquence. Ces personnes, qui ont cru pouvoir combattre aussi facilement qu’elles l’ont dit le phénomène Front national sont des ânes. Et je ne suis pas du tout gentil avec les ânes en écrivant cela. Je crois qu’elles sont en train de s’excuser, notamment dans l’Humanité, pour avoir partagé de telles inepties. Le caractère indigent de leurs affirmations précédentes, que je juge avec sévérité, me suggère que le Parti communiste français pourrait devenir (que dis-je, est peut-être devenu) une organisation dirigée par des représentants incultes de classes moyennes incultes. Quant à l’Humanité, n’en parlons pas.

L’extrême-droite, en France, actuellement, c’est d’une part Sarkozy et ses partisans. C’est d’autre part le Front national. Le « mérite historique » de Sarkozy, du point de vue de sa classe sociale, est d’avoir réussi la conversion de la droite parlementaire, à la fois présidentialiste et de préoccupation nationale, en un parti d’extrême droite, autoritaire, antinational et mondialiste, dont il s’est affirmé être le chef. L’extrême-droite, c’est aujourd’hui et d’abord l’ensemble des représentants politiques, économiques, idéologiques, du capital mondialisé. Il n’est pas nécessaire d’avoir pour symboles le casque à pointe et la croix gammée pour être un parti non pas de droite mais d’extrême-droite, prêt, si l’occasion s’en présente et si les conditions politiques en sont réalisées, à toutes les aventures et à toutes les atteintes à la démocratie, pour préserver les intérêts immédiats et de long terme d’une minorité de la population.

Je salue, pour ma part, ces gens de droite qui, pour des raisons honorables, n’ont pas renié leur attachement à la nation, aux valeurs ainsi transmises et à l’héritage gaulliste. Mais ils ne sont plus très nombreux et la plupart de leurs amis ont rejoint, tout en recevant leur gamelle de soupe, le triste banquet des partisans inconditionnels de l’impérialisme américain. Cela dit, il ne faut certainement pas négliger, au-delà des chefs politiques, l’existence, dans ce pays, d’une opinion de droite honorable.

A cette extrême-droite capitaliste s’adjoint une extrême-droite populaire. Toutes deux se complètent et s’épaulent, quoique dans une apparente rivalité. L’extrême-droite capitaliste, celle des intérêts économiques et politiques primordiaux, est confrontée à la contradiction suivante. D’un côté, elle détruit l’espace national. Mais d’un autre côté, elle a besoin de cet espace pour être élue et exercer le pouvoir. Pour l’instant, c’est ainsi. Sarkozy et ceux dont il représente les intérêts, après avoir mené les affaires du capital mondialisé à un train d’enfer, sont aujourd’hui en train de vivre quelques effets de cette contradiction.

L’extrême droite populaire fait donc le ramassage des déchets et des brisures nombreuses qu’entraîne la politique du capital mondialisé. Cela dit, dans le concret vécu, les rapports entre ces deux segments de l’extrême-droite ne sont pas, aujourd’hui en tous cas, des rapports harmonieux. Leur relation est vécue comme une relation d’affrontement, même si, entre les deux, existe une forte solidarité de défense du système capitaliste, même si la répression apparaît comme la forme de gouvernement qu’ils privilégient l’un et l’autre. C’est dire que l’argument massif et d’autorité les identifiant l’un à l’autre a peu de chance d’être entendu aisément. Au triste mérite historique de Sarkozy s’ajoute aujourd’hui le non moins triste mérite historique du clan Le Pen, qui a réussi à donner à son mouvement la configuration d’un parti démocratique de masse.

L’extrême-droite populaire est donc autre chose qu’un mouvement de nature idéologique que nourriraient des valeurs et des propos insupportables. Cette extrême-droite est désormais une composante primordiale d’un système socio-politique dual que la classe du capital mondialisé met en place et expérimente, en France comme en Europe. Il faudra donc, pour la combattre en même temps que sa sœur jumelle, l’extrême-droite des beaux quartiers, plus que, comme à confesse, trois coups de mentons et deux « No pasaran ».

b) La deuxième idée que je souhaite mettre en avant est que l’extrême-droite est dangereuse, pour la société française, pour ses institutions, pour les travailleurs et pour sa population en général, dangereuse également pour la paix mondiale, pour les valeurs qui honorent ce pays et que partagent un certain nombre de personnes se pensant comme étant de droite.

L’extrême-droite est prête à toutes les aventures guerrières, comme le montre l’engagement actuel de la France auprès de l’OTAN. Il appartient donc aux communistes (pas seulement, bien sûr, mais je m’exprime ici en tant que communiste)

1) de diffuser l’analyse la plus exacte possible de l’extrême-droite, de ses causes, de ce que l’on peut en attendre,

2) d’organiser avec soin et réflexion les actions de riposte aux agissements de ses membres et de celles et ceux qui les dirigent,

3) de mener ces réflexions, ces analyses et ces ripostes avec le souci de développer l’union avec les populations concernées et notamment avec les masses socialistes.

Je vais revenir sur ce thème de l’unité avec les socialistes, qui fait totalement défaut à la réflexion communiste actuelle. Cela dit, l’extrême-droite n’exprime pas seulement la défense d’intérêts économiques particuliers. Elle met en cause des valeurs importantes de la société française. Les communistes, selon moi, doivent penser à se battre très loin et très large, bien au-delà des socialistes, pour contrer le danger de l’extrême-droite française et européenne.

Est-ce que cette exigence unitaire est respectée par l’actuelle stratégie communiste ? Pour donner ma réponse à cette question, je m’en tiens seulement aux masses socialistes, numériquement nombreuses et qui doivent être prioritaires, selon moi, dans notre réflexion.

La stratégie de la mouche du coche consiste à dire :

En temps ordinaire (j’exagère un peu, mais à peine) : 1) « Vos chefs sont des pourris, et vous, vous ne comprenez rien à rien. Heureusement que nous sommes là, nous les communistes (aujourd’hui, le Front de gauche), pour vous secouer les puces ».

Au moment des élections« Ah, mais dites donc, si vous votiez pour nous, les communistes, on a besoin de sous dans nos caisses. Et puis vous savez bien que nous sommes les meilleurs».

Si les dirigeants communistes actuels commençaient à comprendre ce qu’est réellement le danger de l’extrême-droite, s’ils mettaient en accord leur pratique et leur réflexion réelle avec les paroles qu’ils ânonnent avec grandiloquence « sur la crise systémique du capitalisme ». Ils commenceraient à comprendre que c’est du sérieux, et que les difficultés immenses que je mentionne ne vont pas être résolues en cinq minutes et en quatre coups de cymbale d’une manif à la Bastille. Je ne souhaite pas dramatiser de manière outrancière. Cela dit, je ne peux m’empêcher de penser que le nazisme a commencé comme ça, de manière ordinaire, et que peut-être, je dis bien peut-être, le mouvement communiste allemand, qui était puissant, a été écrasé comme une prune en raison de son manque d’unité avec les socialistes.

Le Front national, dans sa forme actuelle, n’est pas identifiable à un mouvement nazi. C’est un mouvement qui se veut « respectable », et dont il faut visiter le site. Le soutien idéologique et moral que lui apporte la mémoire de Maurice Allais, lequel fut un économiste de talent, ne doit pas être négligé. Mais dans une maison, il y a la façade et l’arrière-cour. Il y a ce que l’on dit de manière ouverte et ce que l’on dit de façon plus discrète et qui n’est pas moins important.

Le danger représenté par un mouvement populaire d’extrême-droite est d’abord de stériliser une partie des forces potentielles de changement social et de l’éduquer à résister résolument contre toute transformation sociale issue du mouvement salarial et démocratique. Il est ensuite de maintenir cette puissance en réserve pour des aventures imprévisibles. Nous ne devons pas négliger l’audience de ce mouvement dans l’encadrement militaire et policier du pays. Ce sont ces dangers que, nous, communistes, nous devons anticiper. Car le contexte est celui de la crise de la société capitaliste. J’en reviens maintenant à l’unité avec les socialistes.

Oui, je sais, Noske, l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Liebknecht, et ainsi de suite. Mais les masses socialistes ne sont pas les chefs socialistes. Je ne vais quand même pas identifier les socialistes de mon quartier à Strauss-Kahn. Ces masses ont en commun avec les communistes de penser, avec plus ou moins de force, avec plus ou moins de profondeur, mais quand même de penser avec identité avec les communistes, que « le système ne va pas, et qu’il y faudrait plus de social ». Eh bien, il faut se saisir de cette identité, en la prenant au niveau où elle est et non au niveau où l’on rêve qu’elle devrait être, pour créer une union de plus en plus solide avec cette masse de la population. C’est ainsi que l’on se prépare à toute éventualité, et que l’on préparera aussi, et simultanément, la neutralisation, et je l’espère l’élimination, du capitalisme financiarisé mondialisé, qui est non seulement la source réelle de la crise économique actuelle, mais également la source potentielle de son pourrissement extrémiste.

Adopter le comportement politique que je préconise suppose non pas de prétendre apporter en douceur la vérité aux socialistes, à partir de ce que nous, communistes, nous avons élaboré, ce qui donnerait à peu près : « Vous savez, nous les communistes, nous sommes des grosses têtes. Vous, de votre côté, vous n’avez pas compris grand-chose à la société capitaliste. Mais c’est normal que vous comportiez comme de grands enfants car vos chefs sont des crapules. C’est normal».

Le comportement que je préconise suppose des qualités politiques et des qualités morales de premier plan. Il ne suppose pas d’écrire une lettre à François Hollande pour se mettre à plat ventre devant lui. Mais cela ne suppose pas davantage de l’insulter. Et puis, ce que je crois important, ce n’est pas François Hollande et son appareil, ce sont les masses socialistes. Je souhaite que nous, communistes, nous mettions nos analyses et nos conclusions sur la table de la discussion, que nous écoutions ce qu’ils (elles) disent, que nous en tirions d’éventuelles conclusions pour la réflexion et l’action, et s’il y a lieu, que nous modifions nos conclusions antérieures, au lieu de toujours prétendre à l’avance que nous avons déjà trouvé la vérité.

c) La troisième idée est que, même si les dirigeants de l’extrême-droite sont des personnes dont je combats les conceptions et les programmes, je me demande toujours si leur interprétation de la société prend appui ou non sur des phénomènes réels. Il faut connaître « les gens d’en face » et les connaître dans le détail. J’ai appris, quand j’étais jeune militant, que Maurice Thorez avait obtenu, en son temps, que le Parti communiste publie et diffuse Mein Kampf. Cela a dû surprendre certains communistes à l’époque. C’était une décision parfaitement justifiée. Il faut savoir ce que disent nos adversaires et pourquoi ils le disent, en tout cas le comprendre. Cela ne doit pas être entrepris dans le but de faire changer d’idées les dirigeants de ces mouvements. Le but de cette connaissance est de mieux connaître celles et ceux que ce discours séduit.

Je ne partage pas pour autant l’affirmation selon laquelle le Front national aurait posé de bonnes questions mais y aurait apporté de mauvaises réponses. Cette affirmation est, selon moi, insuffisante et même limite-limite. Théoriquement, en tant que marxiste et communiste, je ne devrais pas avoir besoin du Front national pour soulever et traiter les problèmes de la société dans laquelle je vis. Si tel est le cas, cela souligne mes propres insuffisances et non la capacité de mes adversaires à comprendre la société. Selon moi, la pensée communiste est affaiblie par deux insuffisances graves dans lesquelles s’engouffre l’idéologie de l’extrême-droite populaire.
a) La première est celle de la méconnaissance de la nation, de ce qu’est une nation, de ce que cela signifie tant au plan historique que symbolique. La nation est une réalité que nombre de personnes du peuple connaissent. C’est leur repère. Je crois que ce repère présente encore aujourd’hui des caractéristiques utiles de premier plan. L’histoire contemporaine est tout autant celle des grandes nations que celle de la mondialisation. Le fait de ne plus savoir quoi dire sur la nation laisse le champ libre au Front national qui s’engouffre dans cet espace pour lui disponible[6].

b) La deuxième est celle de la méconnaissance de la réalité des civilisations et de leurs différences. Il existe une civilisation européenne qui est une civilisation marquée par la chrétienté et tout ce qui va avec, c’est-à-dire l’héritage gréco-romain, le monothéisme juif, le socialisme, l’esprit scientifique, et tout cela se tient. Je ne vois vraiment quelle honte il y a à reconnaître ce qui est un fait. Aujourd’hui, dans l’Humanité, quand on parle de chrétienté, c’est avec vingt-cinq guillemets autour du mot. C’est absurde.

En tant que communiste, je sais que la production est décisive. Autrement dit, pour parler vite, s’il y avait plus d’emplois, il y aurait moins de frottements dans les quartiers. Mais les valeurs, les idées, font partie du monde réel. Les habitants d’un pays ne sont pas seulement des producteurs. Ce sont aussi des consommateurs. En particulier, ils consomment de l’espace, et le font en fonction du système de valeurs à l’aide duquel ils ont été structurés. Il faut avoir une vue bien courte de ce qu’est une civilisation pour l’identifier au riz, aux nouilles ou au couscous. La civilisation chrétienne, c’est « la personne » humaine. Je suis athée et en même temps, je tiens à cet opérateur. Il est puissant, il est créatif, il est énorme. Pour moi, la civilisation chrétienne ainsi comprise mérite d’être défendue. Je dirai même que des individus appartenant à d’autres systèmes culturels que celui auquel je me rapporte y trouveront certainement avantage.

Cela n’a rien à voir avec la promotion des bondieuseries irlandaises ou polonaises. Mais je crois qu’en reconnaissant la validité de cet opérateur, je suis mieux en mesure qu’en lui mettant vingt-cinq guillemets autour du ventre, de m’opposer à l’idéologie du Front national, et, simultanément, aux bondieuseries mentionnées ci-dessus.

Il y aurait d’autres insuffisances à souligner, mais je m’en tiens à ces deux-là, pour dire qu’en matière de Front national, les communistes devraient non seulement balayer devant leur porte mais peut-être bien à l’intérieur de leur maison. Je ne crois que le Front de gauche soit en mesure de prendre en compte ces faits importants que je mentionne. Les dirigeants communistes ne le sont pas davantage. A l’heure actuelle, par exemple, est lancée l’idée de la possibilité pour des populations étrangères de voter à certains niveaux administratifs et de la vie courante. Mais cette discussion est conduite « sans principe ». Il me paraît tout à fait intéressant de voir que les personnes de droite discutent ou même s’opposent à ce projet « sur une base de principe » alors que les communistes « en charge » commencent par évoquer « les sondages ». Par conséquent, et de manière plus générale, notre conviction communiste relativement aux thèmes développés par l’extrême droite populaire doit venir d’abord d’une discussion approfondie et de principe entre les communistes, au sein de leur organisation régulière. Je pense que cela nous aidera à nous situer convenablement relativement à d’autres projets ou décisions, comme celui que je viens juste de mentionner.

4) L’unité avec les socialistes, l’unité tout court.

Je vais dire quelques mots de la façon dont les dirigeants communistes conçoivent l’unité avec d’autres forces sociales ou politiques. Je présenterai ensuite mes propres réflexions, de manière ultra-rapide.

a) Comment créer un mouvement de masse ? La stratégie politique préconisée par le Parti communiste français me paraît être la suivante. Jamais, à ma connaissance, il n’y est question d’unité avec quelque organisation politique que ce soit. Certes, la direction communiste envisage des liaisons de type unitaire, mais avec les composantes du mouvement social. De plus, bien que refusant toute compromission avec les organisations politiques, le Parti communiste vient quand même de se compromettre avec un Parti, le Parti de Gauche, dont l’existence est récente et dont la création « ad hoc » me semble fortement imprégnée du parfum des ambitions de Jean-Luc Mélenchon. Ensuite, pour l’élection des députés, d’autres « compromissions » seront faites (sont déjà faites), n’en doutons pas.

Cela étant dit, si l’on fait abstraction de ces deux points, l’essentiel est dans ce qui suit. Il s’agit de «…créer un môle critique de personnes engagées signifiant durablement leur volonté d’un travail sans cloison autour du projet d’une civilisation pleinement humaine »[7]. Lorsque la masse du peuple, réunie autour d’un projet de civilisation vraiment humaine aura atteint un certain seuil quantitatif (un môle, une masse critique), il en résultera des réactions en chaîne auto-productrices d’énergie révolutionnaire. C’est la mouche du coche appelée à un avenir d’éléphant volant dont je parlais précédemment.

Comment créer cette masse critique ? « La formation des idées politiques se construit de plus en plus dans les réseaux humains les plus proches…il faut considérer qu’un lien direct doit s’établir et se perpétuer entre nos organisations politiques et les citoyens »[8]. Ou bien encore « …le rapport direct avec les citoyens constitue notre problème numéro 1…Il ne s’agit pas seulement de distribuer des affiches mais d’établir un rapport constant, durable, de débat et de mobilisation. L’étude TERRA NOVA sur la campagne de Barak Obama fournissait des pistes intéressantes de ce point de vue. En effet, ce rapport montrait comment les nouvelles technologies pouvaient devenir l’outil par lequel s’organiserait effectivement le retour au terrain, au contact direct, à la mise en mouvement de nos concitoyens et de nos concitoyennes… ».[9] Les nouvelles technologies sont supposées jouer un rôle de premier plan dans cette création révolutionnaire.

b) Comment créer (recréer) un mouvement de masse ? Mes remarques.

Avec le souci de ne pas faire trop long, je dirai d’une part, que les réflexions de Patrice Bessac sont certainement intéressantes bien que relevant parfois d’une certaine fraîcheur.

J’apprécie son enthousiasme. Mais je lui indique que l’intérêt de l’organisation communiste n’est pas seulement « d’amalgamer » les gens de la ville et ceux des campagnes, ceux de l’usine et celles des bureaux. C’est aussi d’amalgamer les expériences des générations. Les communistes d’il y a un 50-60 ans savaient déjà que la terre tournait autour du soleil et ils (elles) ne comptaient plus les adhérents du PCF avec des silex. Parmi leurs instruments de combat politique, il en est un qu’ils avaient hérité de l’époque bolchévique, le « Journal de cellule », grâce auquel ils (elles) ont mené de nombreux combats de très grande ampleur, que ce soit pendant la résistance contre les nazis ou après.

Le SMS et le courrier électronique sont des instruments utiles, mais en ce domaine comme en tous les autres, on ne saurait confondre les changements technologiques avec ceux intervenant dans les rapports fondamentaux, entre les hommes, entre les groupes sociaux, entre les hommes et le monde[10]. La confection régulière d’un « Journal de cellule » peut être une opération fortement structurante de l’activité communiste, alors que l’envoi d’un e-mail ou d’un SMS, sous son apparente facilité, ne le sera pas. Tout cela devrait être discuté dans le détail, avec l’idée qu’autrefois, dans le brouillard des âges farouches, il y avait « des choses »[11].

Ce rappel étant fait, je vais dire en quelques phrases ce qui manque, à mon avis, à la conception que les dirigeants communistes ont de la dimension unitaire du débat politique contemporain.

La société n’est pas homogène. La partie de la société que nous, communistes, cherchons à rassembler, ne l’est pas non plus. Pour un communiste, se poser la question de « l’unité » revient donc à s’interroger sur les aspects hétérogènes de la société auxquels son organisation est particulièrement attachée et que son organisation doit contribuer à homogénéiser sous l’angle du combat politique.

Il existe dans la société française actuelle deux dimensions d’hétérogénéité que, selon moi, les communistes français doivent prendre en compte prioritairement.

La première est la dimension « sociologique ». Quelles sont les classes sociales dont l’organisation communiste doit unifier le combat ? Je ne vais pas imposer mon point de vue. Mais je crois que, au plan de la méthode et quelle que soit la réponse apportée, on doit se poser cette question. Pour les chefs communistes du moment, je crois que leur réponse est: « Il y a le peuple ». Or le peuple n’est pas hétérogène en profondeur. Selon moi, c’est autrement compliqué en raison de la « révolution de notre temps ». Je crois qu’il faut unifier les forces de combat issues de l’âge industriel classique et les forces de combat issues de la société de production non matérielle en formation. Je crois que même en s’en tenant au langage du « peuple », il faut savoir qu’il existe des contradictions au sein du peuple. Bon, c’est ce que je crois. Le concept de « peuple » est à la pensée politique communiste contemporaine ce que « on » est à la langue française. Qui c’est, « on » ? Mais c’est « on », pardi.
La deuxième est la dimension « politique ». En bref, il y a des fragments de classes populaires qui se reconnaissent dans le parti socialiste, d’autres dans le parti communiste, et ainsi de suite. Il faut unifier ces morceaux en considérant que la fidélité à une idéologie politique a plus de consistance que les actuels dirigeants communistes semblent le penser. Je le crois d’autant plus volontiers que, à mon avis, pour des raisons historiques, en particulier l’existence d’une petite paysannerie radicale ayant permis aux ouvriers radicalisés de se battre victorieusement, le mouvement communiste français a abandonné à l’idéologie socialiste des fractions importantes de la population.

Mon approche des problèmes ne me conduit pas à parler de Hollande aujourd’hui ou de Jospin hier. Mais elle me conduit néanmoins à ne pas tirer à l’avance un trait sur ces aspects du combat unitaire. Il y aurait peut-être une troisième dimension à explorer, savoir la dimension religieuse.

J’en ai terminé avec ce quatrième point, ma conclusion partielle étant que, à l’heure actuelle, la prise en compte de ces aspects de l’hétérogénéité sociale française est, selon moi, totalement absente de la réflexion et de la pratique communistes impulsées par la direction gauchiste de cette organisation. Le peuple ainsi conçu est un miracle permanent. Le peuple se réunit dans des assemblées citoyennes et élabore la politique communiste, tu parles ! Pour moi, tout ça relève vraiment du baratin. Je crois que l’on peut renouveler la thématique de l’unité en France d’abord en lui donnant un objectif (l’unité pour quoi faire ? Pour ramasser des fraises ? Pour cueillir le muguet ? Pour construire le socialisme ? Pour reconstruire la France, etc.), ensuite en lui donnant la double exigence d’une unité politique (avec notamment les socialistes) et d’une unité sociologique, ou de « révolution réelle » pour accomplir, le plus consciemment possible, « la révolution de notre temps » (pour faire quoi, avec quelles classes sociales ?).

C’est peut-être en croisant mieux ces deux dimensions de l’unité que l’on évitera certaines des difficultés politiques du passé récent.

5) Les propositions

Ce qu’il y a d’intéressant, avec les élections, c’est que, tout comme les escaliers, elles font battre les cœurs. Vous allez voir ce que vous allez voir, c’est la crise, une crise systémique, le grand capital nous a sucés jusqu’à l’os. Il a détruit notre appareil productif. Mais cette fois, ça y est, nous allons régler les choses, et cela très rapidement. A crise systémique, solutions systémiques, bon sang de mique ! D’ailleurs, c’est notre conviction, il suffit de le vouloir.

Indépendamment du fait que nous, communistes de carte et/ou de pensée, nous devrions pratiquer la modestie des ambitions et les accomplir pas à pas pour construire le socialisme dans ce pays, il va falloir que nous trouvions le moyen de faire comprendre aux électeurs que « les choses, malheureusement, ne se règlent pas en deux tours d’élection » et que c’est d’un travail obstiné, toujours orienté vers le long terme, appuyé par une volonté politique inébranlable, que sortiront les solutions à la crise actuelle et l’esquisse d’une société moderne. Je souhaite dire quelques mots sur ce point, en soulignant surtout les aspects économiques.

Pour ce qui concerne les institutions et notamment la VIème République, je demande à voir les projets concrets avant de me prononcer. Ce qui me paraît clair est que la mondialisation confère au président de la République un pouvoir considérable, et ce pouvoir, qui est notamment le pouvoir de la guerre, il faut le contrôler absolument. Ce qui, aujourd’hui, n’est pas le cas.

Il me paraît clair également, que l’équilibre des pouvoirs entre la présidence de la République et les institutions parlementaires a été rompu au profit de la présidence au fur et à mesure que le temps passait. Il faut rééquilibrer ce système institutionnel. Cela dit, je doute de la capacité d’une République citoyenne de donner à ce pays les moyens de se gouverner dans la stabilité. Il serait désastreux de confondre démocratie et bordel permanent.
Il me paraît clair enfin que la France est aujourd’hui de plus en plus gouvernée par l’intermédiaire de la Commission européenne et d’autres institutions européennes. C’est ici, à mon avis, que se trouve le point sensible, celui sur lequel il va falloir travailler comme des bêtes. On voit bien comment la classe du capital mondialisé a mis en place des institutions européennes palliant les éventuelles défaillances, au plan national classique, de l’audience de leurs représentants politiques. Si Sarkozy est viré, c’est pour eux un coup dur, au moins momentanément. Ils ont donc le filet de sécurité européen.

Pour ce qui concerne l’économie, il y avait théoriquement deux programmes dans cette campagne, celui du Front de gauche et celui des communistes. Je ne crois pas que l’on puisse parler de fusion entre les deux mais la plupart du temps, ces deux branches de la campagne sont allées de pair. Dans l’émotion des meetings enflammés, dans la trépidation des attentes, dans la passion des accompagnements de l’orateur, qui sait y faire, dans la stimulation bruyante des applaudissements, des chansons, des slogans, tout cela traduisant une joie certaine de dire « merde » au petit péteux mal élevé qui, de la France, ne connaît que les beaux quartiers, ça passe allègrement.

En 1981, l’idée directrice consistait à dire « Nous avons un programme de sortie de crise. Ce programme est à vous, vous pouvez, vous devez le prendre en charge. Mais si vous ne le faites pas, rassurez-vous, c’est du sérieux ». En 2012, trente ans après, l’idée principale me paraît être la suivante « Nous n’avons pas de programme de sortie de crise mais nous avons une logique de sortie de crise. L’application de cette logique, en même temps que son affinement dans le temps, dépendent de vous. Mais cette logique est solide, vous pouvez y aller. Elle prend appui sur notre analyse des limites enfin atteintes du capitalisme et sur les transformations qui ébranlent le vieux monde au plus profond, que ce soit au plan économique ou autre.».
Ce qui fait la différence entre ces trente ans, pour les stratèges communistes, c’est d’une part l’échec du programme commun de la gauche et l’explication qu’ils en ont donnée. C’est d’autre part l’idée selon laquelle le capitalisme est moribond. Son point de fusion politique serait atteint. Comme disait Zappy Max, ça va bouillir. Les masses, pense-t-on, en ont plein de dos et elles vont se révolter avec énergie et persévérance.
Je trouve cette démarche plutôt faible et je vais dire pourquoi, en énumérant brièvement des arguments de façon abrupte.

a) Le capitalisme n’est pas moribond. Avec les pays en développement, il a encore de la ressource. Ce qui doit être « tué » est le capitalisme monopoliste financier, cela prendra du temps.

b) Il y a une logique mise en place par les forces radicales de gauche et elle me paraît acceptable. Mais il faut également en percevoir les limites et les difficultés de réalisation. L’énoncé de cette logique n’est qu’un support général de la réflexion, non un guide de l’action.

c) La gauche radicale estime avoir des atouts en main. La France est riche. Soit, mais puiser dans la richesse existante ne dure qu’un temps. Les richesses doivent être renouvelées : il faut travailler. Est-il dans la perspective des communistes, ne serait-ce que pendant un certain temps, de maintenir le temps de travail à son niveau actuel ?

d) Une grosse hypothèse pèse sur toute cette logique, à savoir l’Europe. Faut-il sortir de l’Europe ou y rester ? Si la France reste en Europe, c’est pour quoi faire et surtout comment. Avec quelles forces sociales françaises et européennes est-il envisagé de construire cette Europe ? Les forces de gauche, le « peuple » risquent de s’affronter entre elles sur cette question.

e) De grosses illusions existent sur la capacité de la politique industrielle à contribuer à régler les problèmes actuels de l’emploi. Il existe des réserves d’emplois, mais globalement, l’industrie a atteint un niveau élevé de productivité. Des surcapacités de production apparaîtront rapidement au niveau européen. On peut acheter une cocotte-minute si on de l’argent mais on ne va pas en acheter cinquante.

f) La poursuite de la révolution informationnelle devrait apporter le financement nécessaire à ces divers projets, car il existerait un énorme potentiel de productivité à libérer. Les potentialités économiques de cette révolution sont de l’imagination. La société en formation est une société de service et non une société informationnelle où on fait la révolution en envoyant des SMS. Dans une société de service, la productivité évolue autrement et plus lentement que dans la société industrielle.

g) Derrière toutes ces inconnues existe la possibilité (et selon moi la vraisemblance) d’une forte inflation. Si tel est le cas, les forces radicales de gauche peuvent se rendre au vestiaire. Nous aurons contre nous la majorité de la population.

Ma conclusion est que la meilleure façon d’aider le mouvement populaire est de cerner les difficultés au lieu de créer l’illusion que ça va se résoudre en cinq minutes. C’est faux et c’est surtout dangereux en raison des chocs en retour prévisibles. Le système politique chinois présente sur celui des démocraties occidentales l’avantage suivant. La grosse machine du parti communiste est au pouvoir. Quand elle commence à sentir que ça peut chauffer pour ses oreilles, elle se met en mouvement, calmement, lentement, mais elle le fait selon une conduite expérimentale. Dans une démocratie occidentale, c’est totalement différent. La lutte pour le pouvoir rend nécessaire de promettre et d’obtenir tout « tout de suite » et cela sans expérimentation.
C’est difficile, mais c’est notre règle du jeu. Acceptons-là. Mais en raison des caractéristiques de cette règle du jeu, l’unité des français solide, étroite, intellectuellement fondée et donc réellement débattue, consolidée dans les actions et les luttes, tricotée au jour le jour et dans la durée, sur les objectifs du socialisme me paraît indispensable. La préoccupation de l’unité fait cruellement défaut à la stratégie communiste actuelle, que ce soit entre les diverses classes constitutives de la société en formation ou que ce soit entre les courants politiques qui y prévalent. Cette stratégie doit donc être revue de fond en comble.

(Nanning, 6 avril 2012)

[1] Jean-Claude Delaunay, membre du Parti communiste français (Villejuif), Conseiller scientifique de la Fondation Gabriel Péri, économiste, enseignant retraité, vit actuellement en Chine.

[2] Ivan Lavallée : « S’indigner ne suffit pas, il faut faire la Révolution ». Ce texte, qui m’a été envoyé le 17/04/2012, a été rédigé, me semble-t-il, en collaboration avec Jean-Pierre Kahane et Francis Velain.

[3] Descartes : « Une critique du Programme économique du Front de gauche » (27/03/2012) ;

[4] André Gérin : « Quel avenir pour le PCF ? »(04/04/2012).

[5] Jean-Claude Delaunay : « La Chine, la France, la France, la Chine, éléments d’une discussion »,note de la Fondation Gabriel Péri (Mars 2012), en ligne. J’indique une autre de mes notes, publiée par la Fondation Gabriel Péri et traitant de sujets ponctuels allant dans le même sens que certains chapitres de « la Chine, la France ». Il s’agit de « La Révolution de notre temps » (Janvier 2012).

[6] Il s’est produit, l’an dernier me semble-t-il (je n’ai pas le temps de vérifier) le fait suivant. Un photographe a cru réaliser une œuvre intelligente en photographiant un jeune homme se servant du drapeau français comme « torche-cul ». Cette photographie, d’abord exposée dans les magasins de la FNAC, fut ensuite retirée, eu égard aux protestations engendrées. J’ai deux commentaires à faire. Le premier porte sur le fait lui-même. Au-delà du caractère grossier de la photographie, qui se voulait sans doute artistique et dans la veine surréaliste, je note que d’une part, suffisamment de communistes sont morts pour la France, en chantant la Marseillaise, pour que les communistes soient choqués par ce genre d’exercice. D’autre part, je note que ce genre de photographie, qui s’adresse surtout à des jeunes, augure mal de la volonté des Français plus âgés de donner de ce pays à de jeunes Français n’en connaissant pas ou très peu l’histoire une perception encourageante. Pourtant, un certain nombre de celles et de ceux qui sont morts pour la France n’étaient pas de souche, loin de là. Mon deuxième commentaire porte sur la protestation elle-même et je l’exprime sous forme de questions. Qui a protesté ? Qui a organisé les pétitions pour que la FNAC retire cette photographie de ses stands d’exposition ?

[7] Patrice Bessac , « Travailler sans cloison autour du projet d’une civilisation pleinement humaine », réunion du 26-28/10/2010, La revue du Projet, hors série.

[8] Patrice Bessac, « Le jour d’après », La revue du Projet, n°15, mars 2012.

[9] Patrice Bessac, « Question de méthode », La revue du Projet, n°13, Janvier 2012.

[10] L’exemple des récentes « cyber-révolutions » du monde arabo-musulman, enfin, de quelques fragments de ce monde, vient immédiatement à l’esprit pour critiquer ce genre d’interprétation technicienne superficielle des nouvelles technologies. Penser la politique comme une activité de service vise, précisément, à la concevoir comme un système relationnel et donc à l’analyser sous cet angle : par exemple, relations entre qui et qui, avec quel contenu, quelles finalités, quelles temporalités, quels périmètres, quelle densité, quelle efficacité ? La technique peut prendre place dans cette configuration mais sa compréhension doit être subordonnée à celle du système relationnel. C’est l’un des aspects de la critique que j’adresse avec autant d’obstination que de sévérité (même si le résultat de mes interventions est très faible, voire nul, je m’en fous, je ne vais quand même pas me laisser dominer par des conneries) à l’encontre de la « théorie de la révolution informationnelle » dans sa formulation communiste enfantine : la joie (mais aussi les illusions) que procurent les « beaux objets ».
[11] Je me permets de signaler un mémoire de sciences politiques, que j’ai hâtivement rédigé, il y a de nombreuses années, sous la conduite (en fait il n’a rien conduit du tout) du professeur Maurice Duverger. Le titre de ce mémoire : « Le journal de cellule, la presse de l’homme », ou quelque chose de cucul dans ce genre. Si les plus fascisantes des souris parisiennes n’ont pas accompli leur œuvre destructrice, il devrait pouvoir être consulté à la bibliothèque de la rue Cujas (paris5). C’est un mémoire rédigé à la hâte, au milieu d’une activité militante plus qu’importante et dactylographié à l’aide d’une grosse Remington d’occase, comme on le faisait quand on était sans le rond à l’époque des âges farouches. On n’y trouvera pas de grandes idées. Mais c’était quand même un truc pas si bête que ça.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire